Nicolas Rubinstein • Privilège

2021

Nicolas Rubinstein a plus d’un tour dans son sac et son sac est gros c’est celui d’un aventurier. S’il est des écrivains voyageurs, il est aussi des artistes voyageurs, non pas qu’il arpente le monde de manière constante mais son œuvre incite à l’aventure. Ses œuvres ne sont jamais univoques, elles montrent une grande curiosité et attention au monde. Chargé de sens et d’histoires son univers est riche et savamment référencé.

La chambre qu’il a réalisée pour l’hôtel Windsor à Nice s’ouvre tout en délicatesse. Une fois la porte franchie le regard est attiré vers le plafond par un ciel étoilé, promesse d’une nuit que l’on devine sereine. Les étoiles s’allument et s’éteignent dans un mouvement lent, comme si l’on dormait à la belle étoile.

L’œil se pose ensuite sur une carte géographique peinte au-dessus du lit, si certains visiteurs ne reconnaitront peut-être pas immédiatement de quelle partie du monde il s’agit, il suffit d’identifier un seul pays pour comprendre qu’il s’agit d’une représentation de la méditerranée.

Nicolas Rubinstein a gardé son œil d’enfant, son imaginaire. Il aime raconter des histoires et, vraisemblablement, est resté fidèle à ce qu’il aimait. Enfant, il rêvait de voir accrochés au-dessus de son lit des maquettes d’avions, et c’est ici dans cette chambre qu’un avion apparaît, pas n’importe lequel, un jaune utilisé par Antoine de Saint Exupéry lors de la grande aventure de l’aéropostale. Soudain tout s’éclaire et l’on comprend l’hommage à celui qui fut pilote, écrivain, journaliste et disparut dans cette même méditerranée qu’il connaissait si bien car, malgré la fin qu’il y connut, faut-il rappeler qu’il s’y maria, civilement à Nice et religieusement à Agay ? Les éléments se mettent en place peu à peu et l’exploration de la chambre nous conduit à une drôle de boite ; en approchant notre œil d’un petit oculus, à l’intérieur de celle-ci on découvre des moutons paissant paisiblement (« dessine-moi un mouton » demande le Petit Prince). L’espoir existe : les moutons se sont reproduit. La chambre de Nicolas Rubinstein est la chambre du Petit Prince, il nous y a entrainé avec une grande délicatesse, comme si l’on tournait les pages d’un livre fragile. La délicatesse on la retrouve dans la carte mentale et dans un texte intime et sensible livrés par lui et accrochés dans un coin discret de la chambre. La carte mentale, préfiguration de l’installation à venir, montre le même trait que dans ses dessins, pratique où -pour l’avoir vu dessiner à main levée dans la pénombre- nous pouvons dire qu’il excelle, fait assez rare pour être souligné à l’heure où beaucoup d’artistes projettent des images sur lesquelles ils dessinent. Chez Nicolas Rubinstein, la main compte, elle est la trace de l’homme en ce qu’il a de plus vivant et s’il est bien connu des amateurs d’art contemporain en tant que sculpteur pour ses installations monumentales composées souvent d’os, de vertèbres ; architectures de tout être vivant, si il est également reconnu pour sa série et son travail sur les Mickey (Mickey is also a rat) il a toujours eu une pratique régulière, on pourrait presque dire quotidienne, du dessin et chez lui le trait est sensible, c’est cela que l’on retrouve dans cette trente-troisième chambre d’artiste réalisée pour l’hôtel Windsor. « Dites 33 » demande le médecin au patient qui a du mal à respirer, on ne sait si c’est un hasard mais après un séjour dans cette chambre qui porte le numéro 35 on respire un peu mieux et on a envie de fêter cela au bar de l’hôtel où Nicolas Rubinstein fait voler à nouveau Dumbo, le petit éléphanteau privé de sa mère qui n’avait assez pas confiance en lui mais qui pourtant savait voler. Dans l’installation Bar Barrit, Dumbo est un éléphant rose, les bouteilles de vin volent avec lui sous les regards d’un homme ayant l’air de sortir d’un safari, fièrement il pose devant l’objectif sur ses trophées, vestiges urbains et autres artefacts contemporains d’une casse automobile de Marseille. L’humour pointe sous le chapeau, cet homme c’est l’artiste lui-même grimé en aventurier, celui du temps des colonies. Si l’on rajoute à cela, bouteilles de vodka et disques 45 tours sur lesquels poussent des vertèbres on se dit que oui Nicolas Rubinstein est un aventurier. Dans les différentes définitions du terme « aventurier » on en trouve une qui dit: « qui se plaît à poursuivre un idéal difficile et plein d’imprévu », n’est-ce pas là le propre de l’artiste ? Ce qui est certain c’est qu’après un passage par cette chambre et ce bar, dans cet hôtel, bercé par l’univers de Nicolas Rubinstein et les oiseaux qui chantent, nous n’avons qu’une envie : arpenter le monde, en aventurier, l’aventure est au bout du chemin, il y a au moins trente-trois mondes à découvrir.

 

 

Céline Berchiche, 24 mai 2021.

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